dimanche, mai 04, 2008

Les esprits africains et le Saint-Esprit


Les relations sociales complexes établies par les peuples de l’Afrique noire avec les esprits n’embrouillent-elles pas le rôle du Saint-Esprit dans le monde? En d’autres termes, la croyance ancestrale ne s’oppose-t-elle pas à l’action dynamique du Saint-Esprit, ou mieux n’affaiblit-elle pas la capacité chrétienne de témoigner de Jésus ressuscité? Autant de questions qui reviennent souvent dans les coulisses d’ayaas depuis la publication de l’article de Lydia sur la croyance ancestrale.

Soulignons qu’il existe deux sortes d’esprits dans l’imaginaire culturel de l’Africain (Afrique noire): ceux d’origine non humaine et ceux qui, après avoir été des humains, sont devenus des “esprits ancestraux”. Les esprits d’origine non humaine sont analogues aux lieux naturels. Par exemple, les esprits des bois ou les esprits de la mer. Ils peuvent être bons ou mauvais ou même avoir une nature ambivalente. Les ancêtres appartiennent à la seconde catégorie. Ils représentent le lien existant entre les vivants et le monde spirituel, et ils sont en mesure de garantir la prospérité, la santé et la fécondité de leurs descendants. En d’autres termes, «les esprits (âmes libres) des parents décédés occupent une place importante parmi les puissances de l'au-delà.»

Dans sa volonté de rejoindre les aspirations religieuses du peuple, le rite congolais de la messe, pour ne citer que cet exemple, s’ouvre par l’invocation des esprits ou des ancêtres. Et Jésus est l’ancêtre par excellence. La célébration inculturée met en évidence le rôle de l’Esprit Saint qui consiste, entre autres, à assister les chrétiens pour en faire des témoins de la résurrection du Christ non seulement par des paroles mais surtout par la transformation de leur vie. Les chrétiens se sentent unis au Christ et ont le courage de partager ce qu’ils ont de précieux en eux, à savoir l’appartenance au Seigneur. Ils n’appartiennent plus à l’obscurité semée par le diable (les esprits mauvais) mais à la lumière du Ressuscité. Aussi l’effort de l’inculturation du message est-il motivé par l’urgence d’avoir de vrais témoins du Christ, des personnes libérées de l’emprise des esprits maléfiques.

La croyance ancestrale entamerait la capacité de témoigner dans la mesure où l’Africain s’installerait dans la duplicité de vie, s’adonnant au culte ancestral qu’à l’adoration véritable du Créateur, «le Dieu de nos ancêtres». Il reste à démontrer l’impact réel des esprits ancestraux dans l’aujourd’hui du continent noir, terre aux misères flagrantes. (ayaas)

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans son combat contre l’idéologie du ‘retour à l’authenticité’ prônée par le feu président Mobutu du Congo, le feu cardinal Malula, archevêque de Kinshasa et promoteur du rite zaïrois de la messe, écrit ce qui suit en janvier 1972: «Notre monde n’étant plus celui de nos ancêtres, leur conception de la vie ne saurait non plus être la nôtre … Il faut que nous mobilisions toutes nos énergies pour corriger les faiblesses qui freinent notre marche vers l’avenir. Nous ne réussirons pas cela en déterrant les vieilles conceptions de la vie, qui ont fait la faiblesse de nos ancêtres devant la colonisation» (cf. l’hebdomadaire Afrique Chrétienne). Ma question est simple: à quoi sert l’invocation des ancêtres au début de la messe au rite zaïrois ou congolais?

Anonyme a dit…

Un théologien africain bien connu, auteur de plusieurs ouvrages sur l’inculturation de la liturgie en Afrique, a écrit quelque part: «Pour progresser, nous devons renouer avec nos racines et reprendre le fil du cheminement de Dieu avec nos ancêtres» . Je pense que cela est une réponse à Arthur. Pense-t-il que nos ancêtres ne connaissaient pas Dieu?

Anonyme a dit…

Dans la même célébration liturgique inculturée, l’assemblée invoque aussi les saints, par exemple les martyrs d’Ouganda, la Bienheureuse Anuarite et tant d’autres. Arthur pourrait-il nous dire pourquoi cela ne fait aucun problème? Nos ancêtres ne peuvent-ils pas être considérés comme des saints, des gens qui ont bien vécu et qui continuent d’intercéder pour le bien de leurs familles ici sur la terre?

Anonyme a dit…

L’inculturation de la liturgie serait-elle l’objet central de cette discussion? Nous risquerions de réveiller les vieux démons qui somnolent en nous. Quoiqu’il en soit, j’ai été très choqué, même sans être liturgiste, en lisant ce genre de propos: ’Les Africains étant las d’attendre le mûrissement de leur foi, las d’essayer de comprendre le mystère chrétien, dans leur «civilisation de l’oisiveté et de la cueillette», ont poussé certains de leurs pasteurs à leur fabriquer un Dieu à leur taille et selon leurs cultures, un Dieu de l’inculturation, une «pneumatologie sans l’Esprit Saint», une «liturgie sans mystère», une «canonisation de nos identités tribales»’. C’est plutôt là que se situe la vraie et dangereuse opposition à l’action dynamique du Saint-Esprit dont parle ayaas.

Anonyme a dit…

Reconnaissons humblement que la liturgie inculturée tout en nous invitant à la participation active a fait perdre la valeur du silence ou du recueillement personnel et communautaire dans nos longues célébrations liturgiques. Franchement, je ne comprends pas pourquoi Julien considère la critique à laquelle il fait allusion comme une opposition dangereuse à l’action de l’Esprit Saint!

Anonyme a dit…

Quel thème délicat! En le lisant, je me suis dit: Ayaas veut-il semer la confusion en nous à la veille de la Pentecôte? Les internautes précédents m’inspirent à donner ma petite contribution. Elle se réfère à l’intervention d’Arthur. N’ayant pas lu son document de référence, je me contente de cet extrait qu’il a présenté.
A mon humble avis, si le feu Cardinal Malula s’était exprimé en ces termes, ce n’était pas son intention de minimiser l’attachement que nous avons envers nos ancêtres qui sont d’ailleurs nos intercesseurs auprès de Dieu. Je crois que la question qui se pose ici est plutôt celle de la duplicité de vie ou encore mieux le fait de considérer nos ancêtres comme des «dieux».
Je trouve qu’Arthur est catégorique dans son intervention. Je crois bien que nos ancêtres sont nos anges gardiens et nos intercesseurs. N’avons-nous pas l’habitude de dire lors de nos différentes funérailles d’un membre: « Prie pour nous» ou encore «Nous avons un intercesseur en plus auprès de Dieu»?

Anonyme a dit…

Si ma mémoire est bonne, le texte de Malula cité par Arthur est celui qui avait excité la colère de Mobutu et avait forcé l’exil de Malula à Rome, au Vatican. Malula s’opposait fermement à une certaine philosophie africaine de Mobutu, à une négritude dépassée ou mieux au fait de déterrer les vieilles conceptions de la vie africaine. Initiateur de l’inculturation de la liturgie et de la vie consacrée dans son archidiocèse, Malula n’était pas contre les ancêtres mais contre la dictature de Mobutu qui s’était mis à persécuter naïvement l’Eglise catholique en vertu d’une conception confuse de l’authenticité par laquelle il pensait gagner les batailles du monde moderne. Nous savons à quoi cela a conduit son pays, tandis que l’inculturation témoigne davantage du dynamisme et de la ferveur chrétienne.

Anonyme a dit…

Ceci pourrait aider Anna à retrouver sa paix intérieure. En tant que chrétien catholique pratiquant, je crois fermement à l’action dynamique de l’Esprit Saint dans notre monde. Les bonnes initiatives qui font avancer l’Eglise dans sa marche vers le monde promis sont des preuves de sa présence. Ses nombreux dons se vérifient surtout à travers des initiatives charismatiques et prophétiques de notre temps. Par conséquent, s’opposer totalement à la belle initiative qu’est le rite inculturé de la messe, est une opposition dangereuse à l’action de l’Esprit Saint. La romanité n’est pas un rejet des initiatives particulières au sein de l’Eglise. Anna, l'expérience montre que ceux qui s’opposent farouchement à leurs pasteurs sont généralement des assoiffés de pouvoir et des aigris. Je connais l’importance des critiques constructives; je sais aussi que ce n'est pas un Esprit de passivité que nous avons reçu.

ayaas a dit…

Ouf! Ça réchauffe! J’exhorte ceux et celles qui hésitent à intervenir car cette discussion n’est pas réservée aux théologiens et philosophes. L’inculturation semble monopoliser le débat. Cela est tout à fait normal. Une vie chrétienne ou religieuse sans incarnation dans la culture du peuple qui la reçoit ou qui la vit, sans mort et résurrection, reste superficielle, sans racines. Autant l’Afrique noire ne sera pas chrétienne tant qu'elle n'aura pas assimilé le christianisme, autant se poseront les problèmes d'incompréhension tant que le style de vie chrétienne ou religieuse ne jaillira pas de la culture africaine. Néanmoins, j’aimerais que l’attention soit focalisée sur le lien entre la croyance aux esprits ancestraux et la foi chrétienne. Sommes-nous assis sur deux chaises, comme le prétendent certains penseurs?

Anonyme a dit…

Les morts sont-ils vraiment morts? J’espère répondre à Arthur en racontant ma petite expérience d’enfance. J’avais 10 ans quand maman me permit de me rendre au village de ses parents en compagnie de ma petite sœur de 8 ans. C’était un grand événement pour la famille de ma mère. Le lendemain de notre arrivée, tous les membres se réunirent chez la grand-mère pour nous accueillir, pas seulement les vivants mais aussi les ancêtres! Peu avant le rendez-vous, je vis la grand-mère se diriger vers le cimetière familial (sans doute pour annoncer notre arrivée et inviter à la rencontre familiale). Le soir venu, nous étions tous assis au salon quand un homme se leva pour dire à grand-mère que les invités étaient déjà dans la salle (chambre) prévue pour eux. Elle entra subitement dans la chambre en question avant d’annoncer l’ouverture de la soirée et de prononcer les noms de tous les participants (les vivants et ceux qui étaient déjà morts).
Je n’y comprenais rien et j’avoue n’avoir vu personne de mes yeux. J’ai seulement entendu des voix audibles d’hommes et de femmes. La grand-mère Anto faisait le lien entre les invités mystérieux et les autres membres. Elle transmettait ce que les invités disaient et leur rapportait des réponses aux questions qu’ils posaient. En gros, ils étaient très contents de notre présence au village malgré l’interdiction de papa, et ils nous rassuraient de leur protection. Le jour suivant j’appris qu’il s’agissait d’une rencontre avec nos ancêtres. Cela nous rendit malades, ma sœur et moi. Rentrées précipitamment en ville, nous avons raconté aux parents ce qui s’était passé au village.
Aujourd’hui devenue religieuse, je ne cesse de penser au fameux accueil familial. Ce n’était pas un rêve, mais la réalité. Ce que j’ai vécu ne dérange pas ma foi chrétienne. Au contraire je comprends mieux le sens de la vie après la mort et je ne me gêne pas que les ancêtres soient invoqués au début de la messe. Ayaas, n’est-ce pas là «la communion des vivants et des morts»?

Anonyme a dit…

Merci pour ton texte. Je l'ai lu avec attention et je veux réagir sur certains faits. Je crois que le peuple africain doit sortir de son complexe d'infériorité. La 1ère évangélisation a échoué par manque de connaissance de la culture des évangélisés. Jésus lui-même s'est incarné dans une culture, il s'est fait juif; les missionnaires ne peuvent pas faire le contraire de leur maître. La parole de Dieu doit prendre chair de chaque culture. Et tout Africain doit être enraciné dans sa culture, afin qu'il soit en réalité un chrétien. La culture est pour l'homme ce qu'est l'eau pour le poisson. C'est dans sa situation d'Africain que l'évangile prendra chair. Car l'évangile n'est pas ''un coupé-collé''; évangile sans culture n'est qu'une maison sans fondation.
Ma seconde réaction est une question: La problématique de la croyance aux ancêtres est-elle anthropologique? Peut-on affirmer que seuls les Africains croient aux ancêtres? Il convient de relire l'histoire de la crise d'évangélisation du Japon. Le respect de nos ancêtres est un élément essentiel pour comprendre le pourquoi des Saints dans l'Eglise. Ainsi, croire à la survie des ancêtres n'est pas un obstacle à la foi chrétienne. Aucun Africain ne peut confondre les esprits des ancêtres et l'Esprit saint puisque même dans nos traditions il y a des attributs différents pour les désigner. Par exemple, dans ma langue (lari), on désigne par les ancêtres "Biba" ceux qui ont passé leur vie en faisant le bien, qui suivaient la voie(x) de Ndunzia M'pungu (Esprit saint) qui sont près de Dieu. Remarquons qu'il n'y a ni confusion ni fusion dans notre église traditionnelle (le ngunza ou bulamanaga ou encore les Corbeaux), les trois personnes de la trinité sont bien distinctes. (Suite)

Anonyme a dit…

Ma 3ème réaction: il n'y a non plus une confusion entre les mauvais esprits et les esprits bons. Les 1ers sont ceux qui ont mal vécu sur terre, les morts qui n’ont pas de place chez les bons "ancêtres", selon la croyance. Etant donné que le cimetière en Afrique, particulièrement au Congo Brazza, est un lieu de vie, un village, on suppose qu'il y a des bons et des mauvais et que chacun d'eux continue à faire ses œuvres en attendant le jugement final. Mais cela n'est pas à confondre avec la chasse des esprits par les 1ers missionnaires. Ces derniers n'avaient pas compris pourquoi nous faisons recours à nos morts en cas de problème. C'étaient des "disciples d'Hegel" qui n'accordait pas la raison aux noirs. Comme ils ne comprenaient rien en voulant implanter la religion, ils ont commencé par dissoudre et faire semblant en poursuivant les esprits. La question que je pose: ont-ils vraiment chassé définitivement les esprits? L'histoire de Croix-Koma au sud de l'Afrique centrale donne réponse à cette impasse.
Ma dernière question est celle de savoir si le jésus que l'Europe nous a présenté est réellement le Jésus-Juifs? N'a-t-elle pas habillé Jésus avec les vêtements européens? Et pourquoi la vénération des saints ou des reliques? L'évangélisation en Afrique devait être très facile si les missionnaires avaient compris le mystère de l'Afrique. Il ne faut pas non plus prendre l'Afrique pour une totalité, mais un pluriel. Je félicite tous les évêques et les missionnaires qui luttent pour l'inculturation de l'évangile, l’intronisation des certains éléments traditionnels dans la liturgie. Mais je ne dis pas que toute croyance africaine est évangélique; il y a des choses que la lumière du Christ doit éclairer. Lui-même nous dit: "Je ne suis pas venu abolir, mais parfaire". Merci. Que cette recherche nous rapproche de Dieu, celui que tous les peuples adorent selon leur culture!

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour vos réactions. Ma question vous a peut-être donné l’impression que je suis contre l’invocation des ancêtres, ces intermédiaires qui nous ont connus et qui continuent de militer à nos côtés pour le triomphe de la vie. Ceux et celles qui ont lu le livre de F. Kabasele, «Le Christianisme et l’Afrique: une chance réciproque» (1993), savent que ‘la religion est pour nous une manière de vivre, de concevoir le monde, et d’entrer en relation avec les hommes, la nature et l’Au-delà (Dieu, les Ancêtres, les Esprits)’. Rien à dire de l’expérience de Mamie. Personnellement, je crois à l’existence d’un monde mystérieux. De quelle nature est-il? C’est un mystère. Il existe aussi une communion profonde entre les vivants particulièrement les initiés et leurs ancêtres. Ayaas, sois-en rassuré, «le temps où l’on pensait que les cultures d’Afrique étaient un handicap pour la foi chrétienne est bel et bien révolu.» Voilà pourquoi je suis partiellement d’accord avec le commentaire d’Aurélie bien qu’il me paraisse trop émotionnel. Nos morts ne sont pas morts; ils vivent autour de nous!

Anonyme a dit…

J’attendais impatiemment cette mise au point d’Arthur car j’ai été intriguée par sa question sur l'invocation des ancêtres. Je puis à présent m’adresser à Aurélie. En tant que chrétienne, je lis souvent la Bible et je tombe d’émerveillement dans beaucoup de circonstances en voyant Jésus chasser les esprits mauvais par la puissance de sa parole. Pourquoi Aurélie s’en prend-elle aux premiers missionnaires qui chassaient les mauvais esprits en libérant l’homme africain de la peur? Oublie-t-elle qu’il existe un ministère qu’on appelle Exorcisme dans l’église catholique? Beaucoup de prêtres l’exercent. Nous les voyons exorciser, c’est-à-dire conjurer, chasser les démons par les prières spéciales du rituel. Cela se fait encore aujourd’hui. On voit aussi des charismatiques délivrer des gens, des lieux du démon par des exorcismes. Pourrais-tu nous dire, Aurélie, les morts auxquels vous faites recours sont-ils ces esprits-là ou autre chose? N’as-tu jamais prié pour quelqu’un afin que l’esprit de la maladie s’éloigne de lui et qu’il retrouve la santé? Merci d’avance pour ta réaction.

Anonyme a dit…

Great work.