mardi, septembre 19, 2006

La famille africaine

La famille "africaine" constituerait-elle un obstacle à l'épanouissement de bon nombre de personnes qui s'engagent librement dans la vie consacrée ou dans la profession des conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance? Un jeune africain réfléchit ainsi sur le sens de la “Messe de Prémices” de nouveaux prêtres:
“Pour les parents, les amis, les connaissances, la famille éten­due, le clan, le vil­lage, la tribu, etc., c'est d'abord l'honneur (...) Alors des rêves, grands ou petits, sont au rendez-vous. Pour qui a une maison in­ache­vée en durable, le maçon est arrivé. J'ai des projets d'études, le donateur de Bourses s'est rendu visible. Je suis une vieille femme, il ne me sera plus difficile d'obtenir un grain de sel (...) Dès le lendemain de la fête, on frappe à la porte du nou­veau prêtre. On s'est en­detté, il faut rembourser. On n'a plus rien pour envoyer des en­fants à l'école. Le prêtre, en chef coutumier, doit régler les palabres personnelles, familiales, cla­niques et même tribales (...) Combien de temps cela durera en­core?”
Si telle est la réalité vécue dans la conscience des religieux africains, n'avons-nous pas inté­rêt à nous interroger sur les moti­vations réelles et le profil du religieux africain d'aujourd'hui? Sait-il har­moniser l'Évangile, le charisme et la mentalité africaine? Autant de questions qu'on peut se poser et qu'on se pose effectivement. Qu'en penses-tu?

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout en te remerciant pour cette invitation à l'échange, je voudrais partager mon désarroi en tant que mère de famille. Je découvre ton blog en Afrique de l'ouest où je suis en train de participer à une série de conférences sur un thème bizarre, le fameux titre de Ka Mana: L'Afrique va-t-elle mourir? (1991) J'en sors parfois dégonflée! Cette réflexion sur la famille m'incite à poser presque la même question: la vie consacrée va-t-elle mourir en Afrique? Je la pose après avoir lu les commentaires sur ta précédente réflexion, la fidélité en doute. N'y aurait-il pas de lien entre les deux articles?

Franchement, je ne demande qu'une chose à ma fille qui est au couvent: qu'elle respecte ses engagements parce qu'elle nous a bien expliqué le sens de sa vie. Pour l'avoir donnée à l'église, je pense que la famille est une bénédiction pour la vie consacrée. Mais parfois la famille dite large dérange la fille, elle attend trop d'elle. Il faut un travail de conscientisation de part et d'autre pour que les gens comprennent mieux certaines choses. Ma conviction est que tous ne viennent pas des familles démunies, et certaines familles modestes savent respecter le choix de leur enfant car elles ne dépendent pas de lui. J'aurais voulu que ma fille elle-même réagisse à ce sujet.

ayaas a dit…

Merci madame pour ton témoignage. J'espère ne pas te donner une image trop négative de notre continent. Ce serait une incohérence de ma part. Ton commentaire me permet d'affirmer, une fois de plus, que la pratique du voeu de pauvreté pose surtout problème face à ceux qui voudraient dépendre de nous (religieux). En effet, mis à part l'égoïsme personnel, la pauvreté religieuse devient difficile en Afrique à cause de nos familles (au sens africain). Leur situation matérielle nous conditionne. Mais la sim­plicité et le partage me paraissent comme une bonne façon de vivre le voeu de pauvreté. Ceci ne voudrait pas dire que les familles africaines sont contentes de vivre éternellement dans l'état d'insuffisance. Chose évidente, la plupart des appelés viennent de familles modestes.

Anonyme a dit…

Maman m'a parlé de cet article au téléphone. Je le trouve très intéressant parce qu'il touche du doigt un des points sensibles de notre vécu quotidien. Même si je n'ai pas de problème par rapport à ce sujet, j'avoue que certaines personnes vivent sans vraie paix intérieure à cause de tout cela. On en souffre longtemps quand on manque d'ouverture à la communauté. On devrait plutôt avoir le courage d'en parler ouvertement et en toute simplicité, même si la communauté n'intervient pas souvent efficacement. Je n'invente rien en disant que certaines personnes hésitent à aller en vacances en famille pour ne pas être embêtées. C'est la réalité... Mais moi, j'ai la chance d'avoir une famille qui agit autrement. Cela ne signifie pas que tout va bien pour moi. Alors je dois dire que ce ne sont pas toutes les familles qui dérangent; ça dépend, n'est-ce pas? Nombreuses nous soutiennent de leurs dons. Mon souhait est que l'inculturation dont on parle tant mais que beaucoup n'aiment pas entendre soit aussi un sujet de discussion sur ce site. Cela pourrait aider à saisir la complexité de la culture africaine. Envie de continuer mais je m'arrête à cela pour l'instant. Rose

Anonyme a dit…

Et que dire de la participation aux funérailles d'un membre de famille? Certains pensent qu'il faut "laisser les morts enterrer leurs morts". Tout simplement pour ne pas "perdre" le temps et l'argent. D'autres disent que c'est l'occasion de faire preuve de compassion envers la famille éprouvée. Il me semble que la personne humaine est plus importante que le temps ou l'argent. Dans ma culture, il est inconcevable de ne pas assister aux funérailles d'un membre de sa famille. Mais la simple présence physique ne suffit pas. Comme tout autre adulte, il faut donner sa contribution financière.

Le plus dur pour moi, aîné de famille, c'est de me quereller souvent avant d'arracher une permission, même si le deuil se tient non loin de notre communauté. Les uns peuvent pourtant aller assister les leurs, les autres non! Il est évident que nous tous n'avons pas la même conception de famille. Cela n'empêche pas de témoigner d'un peu plus de justice et de respect. En réalité, dans quelle mesure je suis détaché de ma famille? N'attend-elle rien de moi? Que faire de ma culture? Telles questions méritent ici réflexion et débat.

Anonyme a dit…

Mon souhait est que l'auteur de ce blog nous donne aussi la possibilité d'avoir un chat avec lui pour échanger de vive voix sur ce genre de sujet sensible. Le débat pourrait devenir plus riche. En attendant, je laisse ce petit commentaire.
La famille est une valeur universelle. Seule l'idéologie clanique peut expliquer le sens profond de la famille africaine. La solidarité, c’est la cohésion qui lie les membres du clan les uns aux autres et fait en sorte qu’on ne conçoive guère que telle famille vivrait dans l’abondance et le superflu, alors que ses frères ou sœurs claniques devraient croupir dans la misère. Cette idéologie veut tout simplement mettre en valeur l’idée de partage et de prise en charge mutuelle.
Dans le vécu quotidien, chacun doit faire montre de cette solidarité par une assistance directe ou indirecte quand les diverses circonstances de la vie l’exigent. Les situations les plus courantes sont: la naissance, le mariage, la scolarisation des enfants, la maladie, le deuil, l’empri­sonnement d’un des membres. Dans toutes ces situations se témoigne la vitalité et le dynamisme de tous les liens qui unifient fortement tous les membres du clan. Ceux et celles qui vont à l'église n'échappent pas à cette réalité culturelle, qui les prédispose à une vraie vie commune.

ayaas a dit…

Docta, merci de ton beau commentaire et de ta bonne suggestion. Mon profil te dira que je suis ouvert au "chat", via skype, yahoo ou msn, de préférence le soir. Pas de problème pour échanger des idées constructives,tu pourras également voir ma webcam. Mon hésitation, c'est que cela risquerait de nous éloigner de l'objectif de mon blog qui, par définition, "est un site Web convivial, qui vous permet de donner rapidement votre avis sur un sujet qui vous tient à cœur, d'échanger des idées avec d'autres internautes et bien plus encore". Un commentaire écrit permettrait aux autres visiteurs de lire les différentes opinions exprimées sur le sujet proposé; tandis que le "chat" ne profiterait qu'à ses participants virtuels. Toutefois, j'apprécie ton initiative. L'idéologie du clan africain mérite certainement considération et approfondissement.

Anonyme a dit…

Dans ce débat, cette assertion a retenu mon attention: "Mis à part l'égoïsme personnel, la pauvreté religieuse devient difficile en Afrique à cause de nos familles"! J'ai demandé à nos jeunes de dire ce qu'ils en pensent. Mais quelle discussion houleuse! C'est vrai pour certains et faux pour d'autres. Il y aurait beaucoup à écrire mais je me limite à la synthèse suivante:

VRAI - Par conséquent, il faut éduquer la famille élargie, la famille restreinte comprend mieux le sens de nos engagements; il ne faut pas penser résoudre tous les problèmes de sa famille, il faut bien comprendre le pourquoi de l'entrée en religion.
FAUX - Une telle affirmation diminue la valeur de nos familles; une chose est sûre: ma famille existait avant moi et elle vivra sans moi; la pauvreté est avant tout une attitude intérieure, donc une responsabilité personnelle. Ce qui rend l'homme impur, c'est ce qui vient de l'intérieur de son coeur et non pas de l'extérieur, comme dit l'évangile.

Anonyme a dit…

Notre plus grande souffrance c'est la famille. Je pense que si j'avais une famille aisée, je serais la plus heureuse des religieuses, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Je ne savais pas que c'est si dur de voir sa famille en problèmes et on reste incapable d'aider. Les nouvelles que je reçois parfois me laissent à plat, mais je remets cela entre les mains de Dieu, car si on ne fait pas attention, on peut soit voler, soit tirer le voile... On est souvent très tiraillé, quand on regarde comment les autres consacrés évoluent, arrangent les situations de leurs familles, et les comparaisons qu'on reçoit ça et là, vraiment parfois c'est terrible, car d'un côté, on veut être authentique et de l'autre, il y a la plus grande tentation et les diverses pressions. Prions que le Seigneur nous donne la force et la foi dans ces moments.

Anonyme a dit…

Pour reprendre les mots d’un des intervenants, la famille a une valeur universelle, bien plus en Afrique où nous sommes toujours et déjà identifiés à partir de nos familles. Ainsi par exemple, comme pour nous identifier, les gens disent facilement: un tel est fils ou fille de, frère ou sœur de, neveu ou nièce de, cousin ou cousine de, jusque même à nous identifier au niveau du village, il est du même village que, etc. Ceci montre comment la famille, mieux les liens familiaux sont importants pour nous Africains. Maintenant, devons-nous abandonner ces liens à cause des exigences de la religion? Il sied de noter que dans cette famille africaine chacun a un apport important pour l'édification de celle-ci et pour le bien de tous. Le religieux ou la religieuse échappe-t-il à cela?
Cette petite introduction me permet d’aborder d’une façon réaliste ta question de savoir si la famille africaine constitue un obstacle à l’épanouissement de bon nombre de personnes qui s’engagent librement dans la vie consacrée.
Naturellement, je ne pense pas que la famille soit un obstacle, dans la mesure où elle accompagne son fils ou sa fille dans son cheminement vocationnel par ses prières et conseils. Il faut simplement écouter les paroles des parents pendant les cérémonies d’ordinations ou de vœux pour se rendre compte combien la famille africaine soutient et encourage son fils ou sa fille à suivre fidèlement la voie que celui-ci ou celle-ci a choisie. Mais je dois avouer aussi que la même famille qui soutient son fils ou sa fille dans l’épanouissement de sa vocation, constitue parfois un obstacle. Aider les parents, surtout dans leur vieillesse, me paraît la tâche des enfants, surtout dans un continent où la sécurité sociale est inexistante. Dans ce contexte, le fils religieux ou la fille religieuse n’y échappe pas. Tu comprendras dès lors que, dans ce cas la famille constituerait un obstacle à l’épanouissent de leur fils ou leur fille qui doit répondre aux exigences de la vie religieuse, en l’occurrence à son vœu de pauvreté. Par ailleurs, comment une religieuse ou un religieux peut justifier son vœu de pauvreté auprès de sa famille, si la famille voisine vit dans une maison construite par leur fils prêtre ou leur fille religieuse?
A mon avis, c’est une question complexe. Je pense que nous devons arriver à faire la part des choses à ce niveau. Souvent, nous, religieux et religieuses, pensons que nous devons nous sacrifier pour les autres et oublier nos familles. A ce niveau nous ne faisons pas non plus justice à nos familles. Je ne voudrais pas ici favoriser les embêtements de nos familles, famille entendue ici au sens large. Nos familles doivent prendre conscience bien sûr de notre état de vie. Mais nous ne devons pas aussi oublier qu'ils sont aussi parmi les pauvres pour qui nous nous sommes consacrés.